Work in progress - Installation
Je suis née un an après le début de la guerre entre l’Iran et l’Irak à Téhéran. Lorsque les forces de l’air irakiennes attaquaient la ville, un grand cercle rouge s’affichait sur les écrans de télévision ac-compagnée du son terrifiant des alarmes qui annonçaient les attaques aériennes, et nous devions alors prendre refuge en un lieu sûr. Notre lieu de refuge était le sous-sol de notre maison. Cela fut ma première expérience de la peur. J’étais très petite alors, et je ne comprenais pas les horreurs de la guerre, mais je voyais bien la peur dans le regard des adultes. Malgré les conditions terribles et sin-gulières de l’Iran, c’est de ce sous-sol que proviennent les meilleurs souvenirs de mon enfance. Là-bas nous jouions, nous criions et chantions ensemble. Pour une enfant qui ne comprenait pas bien le sens de la guerre, ces jours-là étaient des jours bienheureux. J’ai émigré pour la première fois à cinq ans, à vrai dire c’était une fuite des conditions qui régis-saient l’Iran. Une des scènes fortes dont je me souviens est le moment tragique où m’a mère, ayant aligné toutes mes poupées près de la porte, me demanda de leur de leur dire au revoir, je n’ou-blierais jamais leur regard rivé sur moi. La guerre m’a très vite séparée de mon enfance, et nous sommes parties à la recherche d’un endroit que l’on pourrait appeler un chez-soi. En entrant dans notre nouvelle maison, j’ai compris ce que cela était de se sentir en sécurité, encore aujourd’hui, l’odeur de cette ville, ses couleurs, ses sons, sont comme un baume au coeur. Mon projet est un ensemble de 7 installations de jouets et jeux de l’enfance, dans la peur et l’anxiété des chambres closes d’une maison, je cherche à transmettre le sentiment de cette situation au spec-tateur. Les jeux seraient représentés à l’aide de divers matériaux comme le fer, le tissu, le papier, etc. Ces installations sont liées entre elles. Pouvoir rejoindre cette résidence artistique, me donnerait la possibilité de réconcilier avec ces émotions compliquées. Je pourrais retrouver cette part impor-tante de mon enfance et l’ambiance de cette époque, je n’ai aucun doute qu’inconsciemment des éléments cruciaux à ce projet se révèleront à moi, et que ma présence dans cette ville saura enrichir et influencer mon travail et mes idées. Indépendamment de cette dimension émotionnelle, cela m’ouvre à un nouvel espace qui me permet d’être en contact avec le milieu professionnel et d’autres artistes.Il est certain que ma présence dans l’environnement de cette ville et son milieu complètera une grande partie de mon travail actuelle, et étoffera mon projet. Il est important pour moi que mon projet aboutisse dans une ville qui est pour moi comme ma maison. Cela fait presque vingt ans que j’enseigne aux enfants, et une grande partie de ma vie se déroule dans le monde des enfants, aux côtés de leurs émotions, de leur langue, de leurs jeux, se perdre dans les mimiques de leur visage, leurs corps qui essayent de dialoguer avec nous et qui tentent de transmettre leurs émotions par ce biais. Devenir leur camarade de jeux et faire l’expérience de leur réalité m’a permis de me rapprocher de leur monde intérieur, de connaitre leur moindre petit geste et de saisir ce qui leur fait mal, et qui peut influencer leurs vie par la suite. D’un autre coté, lorsque l’on travaille avec des enfants ou qu’on a soi-même des enfants il arrive souvent que l’on soit con-fronté à sa propre enfance. Des images nous reviennent, alors qu’elles étaient restées enfouies des années durant dans un coin de votre mémoire; les enfants peuvent révéler ces images. À chaque fois que je fais cette expérience, je m’en retrouve étourdis et me demande pourquoi j’ai conservé ce souvenir dans mon inconscient. Je suis le fil. Il arrive très souvent que ces souvenirs aient à voir avec la guerre, et je comprends que les années décisives à la construction de ma personne se soient déroulées dans la peur et l’insécurité. La maison est censée être le lieu de la sécurité dans l’enfance, cependant il faut dire que pour les gens de ma génération, ainsi que pour tout enfant ayant grandi au coeur d’un conflit, ce sentiment de sécurité au sein de leur maison n’a pas pu être ressenti. Et que la peur et l’anxiété sont deux sen-timents qui sans le vouloir, ont infiltré nos enfances et marqué nos vies adultes... Mon projet a vu le jour après ma rencontre avec un enfant syrien dans un camp. Je lui ai demandé quel était son plus grand souhait. L’enfant m’a répondu qu’il voulait une couverture, parce qu’ici la
nuit la nuit il fait froid. J’ai confectionné une couverture, et c’est avec le souhait de cet enfant syrien qu’a commencé mon projet. Le projet de ces 7 installations mettra en scène des objets de l’enfance qui portent le signe de la guerre. Dans la première installation, je veux mettre en scène à peu près 600 avions-origami, recrée à l’aide de métal brulé. Ces avions de métal seront suspendus à la manière d’un mobile au-dessus du lit d’un enfant. Le lit de l’enfant serait très petit, et le mobile aurait la proportion d’un chandelier. J’ai rassemblé près de 250 berceuses du monde entier, ces berceuses sous forme de texte et fichier audio seront diffusées pendant installation .La deuxième installation serait deux tombeaux recouverts de miroir, et suspendus au plafond comme une balançoire. Des petites poupées en tissus rouges à l’effigie de garçon et de filles, dor-ment dans les deux tombeaux suspendus. Au sud de l’Iran, on appelle ces poupées Dokht et Chouk, garçon et fille. La troisième installation sont 12 écrans jeu vidéo de guerre Atari brodé sur des toiles de lin, le son de ces jeux vidéos seront simultanément diffusés dans l’espace de l’installation. La quatrième installation est une couverture en patchwork (composé de différent tissu), sur laquelle est brodé un jeu de pipopipette (jeu des petits carrés) composé des initiales des prénoms des enfants victimes du conflit syrien. Ces quarante morceaux sont étalés sur une table en bois que nous ap-pelons Korsi en Iran. Le korsi est une sorte de table basse carrée, sous laquelle se trouve un brasier, on recouvre la table d’une grande couverture. Tout au long de l’hiver, le korsi est le lieu autour duquel se rassemblent les familles.La cinquième installation est constituée de 240 figures en relief fait de plâtre différentes, représen-tant des jouets d’enfants. Chaque figure aura une dimension de 21.5 par 10.5 sur 5 centimètres, la taille d’une brique. Cette installation représente le moment de séparation de l’enfance. Comme si tous les jouets se transforment en figures en relief. L’espace de ce projet est une maison. Une maison dérobée de son sens de sécurité. Je veux que mon public, à l’instant même où il est confronté à l’une de ces installations, sa présence dans cette es-pace s’accompagne du sentiment de peur et d’insécurité. Je veux qu’il ne puisse pas anticiper les évènements suivants, et qu’il progresse dans l’espace avec anxiété et appréhension. En passant de chambre à chambre par des couloirs si étroits qu’ils ne peuvent être empruntés que par une person-ne. Un lieu dans la pénombre, et un autre très éclairé, accompagné des sons des différentes cham-bres. Je veux qu’il se confronte aux jeux enfantins de notre enfance, seulement les jeux sont comme les tortures que l’ont fait subir à des prisonniers politiques, et on les fait subir à des enfants. Des tor-tures que les adultes ne supportent pas de lire dans un journal, et qu’un enfant de la guerre vit au quotidien. Je veux que même la chaleur prodiguée par la couverture sur laquelle on s’assoit pour se tenir chaud angoisse. Et qu’à chaque instant on s’attende à un évènement terrible. Nous les enfants de la guerre, 30 ans après les faits nous vivons toujours avec cette peur. Avec ce projet je veux jusqu’au possible tirer le portait de la peur d’un enfant ayant grandis au royaume de la guerre. Et peut-être l’espace d’un instant mettre mon spectateur à la place de cet en-fant. Peut-être je pourrais transmettre la perte de sens et l’absurde que vivent ces enfants de la guerre. Ce projet est basé sur de nombreuses investigations sur les enfants de la guerre, leurs jeux, et le nombre d’enfants victimes de ces conflits. J’ai joint des esquisses de ce projet dans mon port-folio.